Discrimination salariale à raison du sexe, allègement du fardeau de la preuve et motifs justificatifs
art 3, art 6
art. 8
04.10.2010 Jugement du Tribunal de prud’hommes du Canton de Vaud 17.02.2011 Jugement de la Chambre des recours du Canton de Vaud 24.08.2011 Jugement du Tribunal fédéral
En cas de discrimination salariale à raison du sexe, l’article 6 LEg aménage un allègement du fardeau de la preuve, ayant pour but, une fois que la vraisemblance d’une discrimination est établie, de mettre la preuve à la charge de l’employeur. Celui-ci doit, dès lors, apporter la preuve de critères objectifs justifiant la différence de traitement. S’il n’y parvient pas ou seulement partiellement, la différence salariale doit être réduite en conséquence. La comparaison avec la rémunération d’un seul collègue de l’autre sexe exerçant la même activité suffit à établir la vraisemblance d’une discrimination. En l’espèce, seuls deux critères ont été retenus comme pouvant influencer la valeur du travail et la différence de traitement avec le collègue comparé, à savoir les connaissances techniques et les capacités linguistiques. Au regard du principe de la proportionnalité ces deux critères ne sauraient justifier une disparité de 50%.
Par contrat individuel de travail du 26 mai 2009, Madame T1 a été engagée en qualité de conseillère en placement à un taux d’activité de 90% au sein de l’unité « administration-commercial », pour le 1er juin 2009, par E SA, une société ayant pour but notamment le placement de personnel fixe et temporaire ainsi que le conseil en personnel. Le contrat prévoyait que le salaire de Madame T1, versé douze fois l’an, serait de CHF 6’000.- bruts par mois pendant la période d’essai de trois mois. Dès le quatrième mois d’activité, le salaire devait se décomposer en une part fixe, de CHF 4’100.- bruts par mois, et une part variable comprenant un bonus individuel calculé en pourcentage du chiffre d’affaires généré par les placements opérés par la salariée (6% si le chiffre d’affaires dépassait CHF 15’000.-) et un bonus extraordinaire pour le travail en équipe si certains objectifs étaient atteints.
Avant la signature du contrat, Madame T1 avait déclaré être en mesure d’effectuer cinq placements fixes et cinq placements temporaires par mois.
Selon la demande de Madame T1, un avenant au contrat de travail a été conclu à l’issue de la période d’essai, soit le 4 septembre 2009, prévoyant que le régime salarial applicable pendant le temps d’essai serait reconduit pour les trois prochains mois.
Sur une période de six mois, Madame T1 a réalisé des placements pour un chiffre d’affaires de CHF 27’634.-.
Le 27 novembre 2009, un entretien, dont le contenu n’a pas été établi, a eu lieu entre Madame T1 et deux administrateurs de la société E.
Par courrier du 30 novembre 2009, la société E a résilié le contrat de Madame T1 pour le 30 décembre 2009.
La société E avait également engagé, pour le 1er juin 2009, Monsieur T2 en qualité de « conseiller en personnel pour le secteur administration-commercial ». Son contrat prévoyait une rémunération fixe mensuelle de CHF 10’000.- bruts versée douze fois l’an pour un taux d’activité de 100%. Lors des entretiens d’embauche, Monsieur T2 avait fait valoir ses connaissances techniques et sa maîtrise de l’allemand et du suisse-allemand, ce qui devait permettre à la société E d’investir le domaine de l’ingénierie et d’approcher le marché suisse-allémanique. Monsieur T2 a cessé ses activités auprès de la société E à la fin février 2010.
Par demande du 24 mars 2010, Madame T1 a ouvert action contre la société E devant le Tribunal de prud’hommes vaudois faisant valoir une discrimination salariale sexiste par comparaison avec son ancien collègue Monsieur T2 en application de la LEg. Elle a conclu au versement de la somme de CHF 21’000.- bruts, plus intérêts à 5% l’an dès le 1er janvier 2010. La société E a conclu à la libération. Le Tribunal de prud’hommes a entièrement rejeté les conclusions de Madame T1.
Madame T1 a fait recours auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois qui l’a rejeté. En substance, la cour cantonale a retenu que Monsieur T2 avait démarché des clients suisses-allemands et que, durant ses neufs mois d’engagement, il avait réalisé des placements pour un montant de CHF 73’255.-, admettant toutefois que Madame T1 avait réussi à rendre vraisemblable, au sens de l’article 6 LEg, une discrimination salariale entre elle et Monsieur T2 puisque leurs fonctions étaient identiques et leurs parcours professionnels comparables. Partant il appartenait à la société E d’apporter la preuve que cette différence de salaire reposait sur des motifs objectifs. L’autorité cantonale a retenu six critères justifiant une meilleure rémunération pour Monsieur T2, à savoir, la position du prénommé était différente au sein de l’entreprise, il a pu établir des contacts professionnels dont il a fait profiter la société E, il avait connaissance du langage technique du domaine de l’ingénierie, il était parfaitement à l’aise en allemand et en suisse-allemand, ses performances ont été supérieures à celles de Madame T1 et le contexte conjoncturel a joué un rôle. Ainsi, au vu de l’ensemble de ces éléments, la différence de salaire entre ces deux travailleurs reposait sur des critères objectifs de sorte qu’aucune discrimination au sens de l’article 3 LEg n’a été retenue.
Madame T1 exerce un recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral.
L’état de fait est complété en ce sens que Madame T1 est titulaire d’un brevet fédéral en ressources humaines, acquis lors de son temps de service auprès de la société E, susceptible d’influencer le niveau de rémunération.
Madame T1 se plaint d’une violation de l’article 3 LEg et s’en prend aux motifs objectifs retenus par la Cour cantonale. Elle fait valoir que la position de Monsieur T2 et la sienne étaient les mêmes au début des rapports de travail et nie que l’expérience professionnelle passée de Monsieur T2 puisse être retenue comme une raison justifiant la disparité salariale. Elle allègue que les prétendues compétences techniques du précité provenaient uniquement de la maîtrise d’un certain vocabulaire et que si E, avait comme intention de développer son activité dans le domaine de l’ingénierie, le projet était demeuré au stade embryonnaire pendant la durée des rapports de travail de Monsieur T2. Madame T1 ajoute que le bilinguisme de Monsieur T2 ne devrait pas être considéré comme un élément justifiant une différence salariale car la société E possède essentiellement une clientèle locale de langue française. Le critère de la performance ne pouvait pas jouer de rôle, dès lors que la disparité de salaire a existé lors de l’entrée en fonction des deux travailleurs en question et qu’elle ne saurait donc autoriser a posteriori la différence de salaire litigieuse. Elle soutient que la valeur de ses performances n’était pas inférieure à celles de Monsieur T2. Enfin la situation conjoncturelle ne pouvait être prise en compte, les deux travailleurs ayant débuté le même jour.
L’article 3 alinéa 2 LEg, prévoyant que l’interdiction de toute discrimination des travailleurs à raison du sexe s’applique en particulier à la rémunération, concrétise le principe constitutionnel inscrit à l’article 8 alinéa 3 Cst. auquel la jurisprudence a donné un effet horizontal.
L’action en paiement du salaire contenue à l’article 5 alinéa 1 lettre d LEg est l’un des moyens judiciaires mis à disposition de celui qui subit une discrimination au sens de l’article 3 LEg.
Selon l’article 6 LEg, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition, qui s’applique notamment à la rémunération, allège le fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie qui l’allègue de rendre vraisemblable l’existence d’une telle discrimination. Le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie qui se prévaut de la discrimination, il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment. Par exemple, la vraisemblance d’une discrimination salariale a été admise dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était de 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue de sexe masculin qui accomplissait le même travail (ATF 130 III 145, c. 4.2).
La comparaison avec la rémunération d’un seul collègue de l’autre sexe exerçant la même activité suffit à établir la vraisemblance d’une discrimination.
Si la discrimination de nature sexiste a été rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé. Il appartient donc à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’il n’existe pas de différence de traitement ou, dans la mesure où elle existait, qu’elle repose sur des facteurs objectifs. S’il échoue dans cette entreprise, l’existence d’une discrimination salariale doit être tenue pour établie.
Les motifs considérés comme objectifs sont ceux à même d’influencer la valeur du travail, tels que la formation, le temps passé dans une fonction, la qualification, l’expérience professionnelle, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus ou le cahier des charges. L’âge ou les charges familiales peuvent également être pris en compte. La négociation du contrat de travail ainsi que la conjoncture sont aussi de nature à induire une différence de rémunération.
Pour qu’un motif objectif puisse légitimer une différence de salaire, il faut qu’il influe véritablement de manière importante sur la prestation de travail et sa rémunération. L’employeur doit démontrer que le but objectif qu’il poursuit répond à un véritable besoin de l’entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle du principe de la proportionnalité.
En l’espèce, Madame T1 a réussi à rendre la discrimination salariale vraisemblable, dès lors que Monsieur T2 percevait une rémunération 50% plus élevée.
Selon la Cour cantonale, la position différente des deux travailleurs au sein de la société E autorisait une différence de salaire. Elle accorde beaucoup d’importance au fait que Madame T1 ait demandé la reconduction d’une période d’essai. Le Tribunal fédéral considère que cette différence ne constitue pas un critère objectif, de même pour les contacts noués par Monsieur T2 qui ont permis à la société E d’obtenir de nouveaux clients, car il n’avait pas travaillé dans le secteur de l’ingénierie auparavant et il avait été engagé pour le même secteur que Madame T1.
Au contraire, les connaissances techniques ainsi que la maîtrise d’un langage scientifique, du moment qu’il est établi que la société E voulait élargir son activité à l’ingénierie, constituent des motifs justifiant une différence de traitement, de même que les capacités linguistiques dans la mesure où la société E désirait approcher le marché suisse-alémanique.
Les performances d’un travailleur ne peuvent jouer un rôle pour la fixation de son salaire d’engagement puisque celles-ci n’ont pas encore été accomplies. Mais, dans le cas présent, il est possible d’en tenir compte car Madame T1 avait annoncé, lors des entretiens d’embauche, être en mesure de réaliser un certain nombre de placements. En l’espèce, la comparaison entre le chiffre d’affaires réalisé par les deux travailleurs et leurs salaires respectifs est trop faible pour justifier d’une différence salariale.
Même s’il est vrai que la situation conjoncturelle peut influer sur la rémunération, cependant de manière limitée et temporaire, dans le cas d’espèce, Madame T1 et Monsieur T2 sont entrés au service de la société E le même jour, dès lors la situation conjoncturelle ne peut constituer un critère objectif.
En définitive, seuls deux critères pouvaient influencer la valeur même du travail de Monsieur T2 et autoriser, par conséquent, une différence de traitement entre celui-ci et Madame T1, à savoir ses connaissances techniques et ses capacités linguistiques. A considérer le principe de la proportionnalité, ces deux facteurs non discriminatoires ne sauraient autoriser une disparité de traitement de 50%. A cela s’ajoute que Madame T1 a obtenu un baccalauréat, contre un certificat fédéral de capacité pour Monsieur T2, et est au bénéfice d’un brevet fédéral de spécialiste en ressources humaines.
Dès lors, le recours est admis et la cause renvoyée à l’autorité cantonale qui déterminera un salaire non discriminatoire sur la base des considérations ci-dessus. Le Tribunal rappelle, à ce propos, qu’après avoir retenu que l’ancienneté, l’expérience professionnelle et le bilinguisme d’un collègue de sexe masculin étaient constitutifs de motifs objectifs justifiant une différence de traitement, il a tenu pour équitable un écart salarial de 8,5% avec une salariée ayant la même formation et exerçant la même activité que l’intéressé (arrêt 4A_449/2008 du 25 février 2009, c. 3.2.1 et 3.2.2).