Licenciement discriminatoire après un congé de maternité. Allègement du fardeau de la preuve.
art 3, art 5, art 6, art 9
03.06.2021 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 29.09.2022 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/303/2022)
Après une grossesse compliquée et un congé de maternité suivi de vacances et d’une période d’incapacité de travail, une vendeuse de montres se voit notifier un licenciement et son remplacement immédiat par un nouveau collaborateur. La travailleuse parvient à rendre vraisemblable la nature discriminatoire de la résiliation. L’employeuse ne réussit pas à prouver que le licenciement reposait sur de motifs objectifs, sans lien avec la maternité ou les absences causées par celle-ci. Le Tribunal des prud’hommes la condamne au versement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire correspondant à deux mois de salaire.
Vendeuse dans un magasin de montres depuis 2016, T. devient enceinte au mois de mai 2019.
En juillet 2019, T. annonce sa grossesse à sa hiérarchie. T. se trouve en incapacité de travail pour cause de maladie du 16 juillet 2019 au 3 août 2019.
Lors d’une période subséquente d’incapacité de travail, le 5 novembre 2019, elle reçoit un courriel d’une assistante du service des ressources humaines qui lui demande de restituer rapidement une des montres du magasin afin qu’elle puisse être prêtée à un autre collaborateur.
Le lendemain, T. répond qu’elle attend de sortir de l’hôpital afin de pouvoir trouver une solution pour cette montre, qui semble être une urgence. Elle explique que son état de santé et la vie de son enfant la préoccupent énormément ces derniers mois et constituent son urgence primordiale mais qu’elle allait s’organiser pour transmettre au plus vite la montre. Le jour suivant, l’assistante présente ses excuses par courriel. Elle ignorait que T. se trouvait à l’hôpital, lui adresse ses meilleurs vœux et lui propose de leur faire parvenir la montre dès qu’elle verra une possibilité.
Le 23 janvier 2020, T. donne naissance à son enfant. Son congé de maternité dure jusqu’au 27 mai 2020.
Du 9 au 21 juillet 2020, T. se trouve en incapacité de travail. Elle reprend son activité le 30 juillet 2020.
Lors d’un entretien le 14 août 2020, elle est licenciée avec effet au 31 octobre 2020. Elle est immédiatement libérée de son obligation de travailler.
En octobre 2020, une médecin généraliste constate chez T. un syndrome anxio-dépressif réactionnel. La travailleuse forme opposition à son congé et demande une motivation écrite.
Par courrier du 5 novembre 2020, l’employeuse explique à son ancienne employée que son congé est motivé par ses absences de longue durée, répétées depuis fin 2018, absences qui avaient rendu nécessaire, pour des raisons d’organisation, l’engagement d’une nouvelle personne.
Dans une lettre du 8 décembre 2020, la travailleuse qualifie son licenciement de discriminatoire au sens de la loi sur l’égalité, dès lors qu’il lui a été notifié à l’issue d’une période de protection relative à la maternité, soit treize jours après son retour au travail. La jeune mère explique que ses absences durant la grossesse étaient liées à celle-ci puisqu’elle avait souffert d’une pré-éclampsie, dangereuse pour l’enfant à naître. En outre, l’intervention chirurgicale qu’elle avait dû subir en été 2020, après son congé de maternité, était liée au développement de calculs biliaires pendant la grossesse. T. déplore avoir été, pendant son hospitalisation, sollicitée à plusieurs reprises et de manière insistante par sa hiérarchie, avec un impact négatif pour sa santé. La façon particulièrement abrupte et dénigrante dont son licenciement lui a été notifié témoigne d’un environnement hostile à son statut familial.
Une audience de conciliation a lieu le 3 juin 2021, sans succès. La demande adressée le 1er septembre 2021 par T. au Tribunal des prud’hommes tend à obtenir le versement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire correspondant à six mois de salaire, une indemnité pour tort moral, ainsi que le paiement des heures supplémentaires non compensées et des vacances non prises.
En premier lieu, le Tribunal des prud’hommes rappelle l’interdiction de discriminer en raison du sexe ou de la grossesse lors de la résiliation des rapports de travail (art. 3 LEg) et l’allégement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 6 LEg (c. 2a).
Conformément à cette disposition, le Tribunal examine, dans un premier temps, si la demanderesse a rendu vraisemblable l’existence d’un licenciement discriminatoire sur la base d’indices objectifs suffisants (c. 2b).
La proximité temporelle entre le licenciement et la date du retour au poste constitue un premier indice. Selon le Tribunal, « l’argument selon lequel le congé-maternité avait pris fin bien avant le licenciement, soit environ 2,5 mois avant, ne saurait être pris en compte dès lors que ce licenciement est tout de même intervenu rapidement après un retour au travail, lequel faisait suite à un congé-maternité et des vacances et incapacités de travail ». Un autre indice réside dans le fait qu’une collègue de T., devenue enceinte peu après elle, a également été licenciée à la suite de son congé de maternité. Au total, trois employées ont été successivement licenciées après un congé de maternité sur une période relativement brève. Parmi les autres indices pris en considération par le Tribunal, il y a le fait que la travailleuse ait été immédiatement remplacée par un employé de sexe masculin. Enfin, la résiliation soudaine des rapports de travail avec une personne employée depuis plus de trois ans, au bénéfice d’un bon certificat de travail et dont le taux d’activité avait été augmenté, constitue également un indice permettant d’admettre la vraisemblance de la discrimination (c. 2b).
La travailleuse ayant rendu vraisemblable la discrimination, le Tribunal examine, dans un second temps, si l’entité employeuse a démontré que le licenciement reposait sur des motifs objectifs (c. 2c).
Les motifs invoqués à l’appui du licenciement sont les absences de longue durée, répétées depuis fin 2018, rendant nécessaire l’engagement d’une nouvelle personne. L’employeuse a précisé que les absences justifiant le licenciement ne sont pas celles liées à la maternité et aux vacances. Ainsi, il convient de ne pas prendre en considération ces absences lors de l’examen des éventuels motifs objectifs et de s’intéresser à la période précédant le début du congé de maternité (c. 2c).
Selon le Tribunal, « au final, seize jours après le retour au travail de la demanderesse, lequel faisait suite à une interruption totale de travail d’environ un an, la défenderesse [lui] reproche par le prononcé du congé, ses périodes d’absences entre fin 2018 et fin 2019, dont six mois étaient liés aux complications de sa grossesse, comme s’il était inévitable que six mois après la naissance de son enfant, elle connaîtrait à nouveau dans le futur des absences ». En outre, l’employeuse « ne démontre absolument pas les raisons économiques qui l’ont obligée à se séparer de la demanderesse ». Elle n’a produit aucun document faisant référence à des pertes financières subies au moment des absences de la travailleuse. Pour ces raisons notamment, le Tribunal arrive à la conclusion que l’employeuse n’a pas démontré avoir disposé de motifs objectifs pour licencier T. (c. 2c).
L’existence d’un licenciement discriminatoire est admise (c. 2d).
La travailleuse demande une indemnité pour licenciement discriminatoire (art. 5 al. 2 LEg) correspondant au maximum légal de six mois de salaire (art. 5 al. 4 LEg). La procédure à suivre pour faire valoir une telle indemnité ayant été respectée (art. 9 LEg cum art. 336b CO), le Tribunal en fixe le montant au regard de l’ensemble des circonstances du cas concret (c. 3a et 3b).
Le Tribunal prend notamment en considération la faute commise par l’employeuse, qui a mis fin aux rapports de travail avec une employée peu de jours après son congé de maternité suivi d’une période de vacances puis d’incapacité de travail. Les circonstances du licenciement, notamment le fait que le jour de sa notification l’employeuse n’ait pas évité que la salariée congédiée, en pleurs, se retrouve nez à nez avec l’homme appelé à la remplacer, ont aussi été prises en compte. La durée moyenne des rapports de travail ainsi que l’âge (29 ans) de la travailleuse et ses perspectives d’avenir constituent également des critères pertinents.
En définitive, le Tribunal alloue une indemnité pour licenciement discriminatoire correspondant à deux mois de salaire (art. 5 al. 2 LEg) (c. 3c).
En revanche, T. est déboutée de sa prétention au versement d’une indemnité pour tort moral (art. 5 al. 5 LEg cum art. 49 CO), l’atteinte psychique liée au licenciement ayant déjà été réparée dans le cadre de l’indemnité pour résiliation discriminatoire (c. 4).
Elle est aussi déboutée de ses conclusions tendant à la rétribution de ses heures supplémentaires et au paiement du salaire afférent à son solde de vacances, puisque la période de libération l’obligation de travailler durant le délai de congé avait été suffisamment longue pour permettre une compensation en temps (c. 5).
La procédure relevant de la loi sur l’égalité, il n’est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens.